Affections diasporiques
« Las fronteras son siempre lugares que sangran. »
Jorge Díaz et Johan Mijail,
Inflamadas de retórica.
Affections diasporiques n’est pas une fin. Fruit d’un geste curatorial et artistique collectif qui requestionne les frontières, cette exposition est ce qui advient du croisement de différentes trajectoires, là où coexistent des récits qui ne se produisent jamais seuls. C’est le propre des récits diasporiques; ils ne se donnent à lire, à voir et à entendre que lorsqu’ils peuvent être transformés, déplacés et réinventés par ce qui les entoure : des souvenirs, des voix, des matières, des luttes, des chants, des poèmes et autrui. C’est presque une condamnation. Les personnes diasporisées sont aux prises avec des histoires magnifiques ressassées à mesure qu’elles se déplacent dans l’histoire de leurs vies.
Cette exposition fait état de cette condition, de cette sensibilité qui nous rend désespérément réfractaires aux discours fossilisés et coagulés cherchant à contenir nos cultures, nos parcours et nos langues, à singulariser nos origines et à écarter nos émotions de tout combat et de toute pensée. Il arrive alors que nous ayons des réactions épidermiques à cette tendance de notre civilisation à tout séparer : nous retournons à nos vieilles histoires, ou plutôt nous retournons nos vieilles histoires pour retourner le monde sur lui-même, montrer que pour nous rien n’est immobile, que tout nous transporte. C’est une affection extraordinaire qui, depuis nos diasporas, transfigure nos récits.
Affections diasporiques est ma réponse à l’invitation du collectif Phorie (formé de Benoit Jodoin et Félix Chartré-Lefebvre) à me déplacer de ma zone de confort – la littérature – vers celle de l’exposition, afin de m’inspirer du travail des artistes pour poursuivre mon exploration des enjeux diasporiques amorcée en 2017 avec Vueltas. Dans ce vaste projet de recherche-création interdisciplinaire, les diasporas sont pensées comme des espaces producteurs d’expériences affectives, des constellations mouvantes, instables, qui provoquent des transformations des sujets migrants et de leurs cultures – des diasporisations.
Avec cette exposition, j’ai voulu imaginer un espace diasporique relationnel où les identités et les cultures se cristallisent en des micro-récits aux formes variées pour se rencontrer, se métamorphoser, célébrer l’opacité des langues et expérimenter les impasses de la traduction, tout en révélant les manières impérialistes, coloniales et sanglantes dont les nations tracent les frontières et relatent les parcours migratoires. Il s’agit de dépasser la simple question de l’immigration pour, en marge des récits dominants de l’histoire occidentale, explorer la complexité des narrations que produit une relation intime et affective aux diasporas. Les œuvres de Hamza Abouelouafaa, Gem Chang-Kue, Francisco-Fernando Granados, Poline Harbali et Laïla Mestari croisent ces trois notions – diaspora, récit, affect. En les rassemblant, nous invitons les visiteur·euses à apprécier de manière holistique les phénomènes que sont, entre autres, la mémoire, les migrations et les infinies transformations qu’elles encouragent.
Nicholas Dawson
Francisco-Fernando Granados, letter, 2024, Dessin numérique, 8.5x11 pouces. © SBC galerie d’art contemporain